En Grèce, les dysfonctionnements du Parlement sous surveillance
Documents fiscaux incompréhensibles. Sexisme. Procédures obscures: les critiques pleuvent sur le Parlement grec dont les dysfonctionnements ont accentué la défiance des Grecs à l'endroit de leurs responsables politiques.
Deux anciens premiers ministres ont récemment exprimé leurs inquiétudes. L'ancien chef de gouvernement de la gauche radicale (2015-2019), Alexis Tsipras, a ainsi assuré que la classe politique était une "partie du problème" en Grèce plutôt que de la solution.
"La confiance et la participation des citoyens sont le fondement de la démocratie. Sans elles, aucune démocratie ne peut tenir", a également déclaré le conservateur Kostas Karamanlis.
En Grèce, où le clientélisme et le népotisme sont souvent dénoncés, seuls 17% des gens font confiance au Parlement, pourtant surnommé "temple de la démocratie", selon un sondage réalisé en mars.
Depuis plus d'une décennie, un organisme indépendant citoyen, Vouliwatch, scrute les dysfonctionnements de l'assemblée législative connue pour ses joutes verbales, invectives et autres querelles entre élus.
- 4,5 millions de visiteurs -
Le site internet, qui tire son nom de "Vouli", le Parlement en grec, dissèque les projets de lois discutés par les 300 députés de l'assemblée monocamérale.
Il suit aussi les débats en commission et sert de plateforme pour des questions de citoyens avec pour devise sur sa page d'accueil: "Nous renforçons la démocratie".
Plus de 4,5 millions de visiteurs, environ la moitié de la population, l'ont consulté au moins une fois, affirme à l'AFP Stefanos Loukopoulos, directeur et cofondateur de l'organisation qui a vu le jour en 2014, en pleine crise financière et politique.
"Les gens avaient alors le sentiment que leur voix n’était pas entendue, qu'ils manquaient de représentation", un sentiment qui persiste, souligne ce politologue de 42 ans.
"Cela a entraîné une délégitimation des institutions démocratiques centrales", ajoute-t-il.
Avec une équipe restreinte de sept personnes, dont des juristes et un reporter, ce site à but non lucratif a été salué pour son travail visant à rendre les activités quotidiennes du Parlement plus compréhensibles.
Vouliwatch est "un outil véritablement précieux pour une démocratie parlementaire moderne et libérale", assure Andreas Pottakis, le Défenseur des droits du citoyen.
- Déclarations de patrimoine -
L'équipe s'est fait connaître en 2015 lorsqu'elle a publié les déclarations de patrimoine des députés.
Jusqu'ici, les déclarations fiscales étaient publiées sous forme de documents manuscrits mal scannés, avec des taches, des flèches et des notes illisibles, rendant difficile leur analyse.
La classe politique grecque "n’est pas la plus favorable à la transparence", analyse Stéfanos Loukopoulos, rappelant que le pays est dominé depuis plus d'un demi siècle par de grandes familles politiques, comme celle de l'actuel Premier ministre Kyriakos Mitsotakis, ce qui entretient "le népotisme et le clientélisme".
Et bien que les législateurs tentent de suivre les directives européennes, notamment en matière de transparence, ils n’y mettent pas vraiment de cœur, selon M. Loukopoulos.
"Ils votent les lois car ils sont obligés" sans vraiment veiller à leur application, ajoute-t-il.
En 2019, le site a poursuivi le Parlement pour obtenir l’accès à des documents révélant que le parti conservateur Nouvelle Démocratie de M. Mitsotakis avait dépensé près d’un million d’euros de subventions publiques destinées à la recherche pour rembourser ses dettes en 2016 et 2017.
La commission parlementaire compétente n’a pas sanctionné le parti.
Gerasimos Livitsanos, journaliste spécialisé dans les affaires parlementaires et aujourd’hui contributeur de Vouliwatch, est convaincu que la situation va "de mal en pis".
"Les projets de loi qui devraient être débattus pendant deux semaines sont souvent bouclés en seulement deux jours", relève ce journaliste qui travaille également pour Vouliwatch.
Il déplore également le sexisme qui règne dans l'hémicycle, où moins d'un quart des élus sont des femmes malgré la parité obligatoire sur les listes électorales.
En mars, un député conservateur s'en était pris à la dirigeante d'un petit parti de gauche: "Allez donc faire un enfant", lui avait-il lancé lors d'un débat houleux.
Q.Rios--HdM