
Tour de France: pour qu'un Français gagne, "il faudrait que tous les autres tombent", selon Hinault

Dernier vainqueur français du Tour de France, il y a quarante ans, Bernard Hinault désespère de voir un coureur tricolore lui succéder prochainement mais il incite ses compatriotes à attaquer, "quitte à prendre des claques".
QUESTION: Cela fait 40 ans cette année qu'un Français n'a pas gagné le Tour. Est-ce que ça commence à vous peser d'être toujours le dernier vainqueur ?
REPONSE: "On est plutôt triste qu'on n'ait plus eu un Français qui gagne le Tour. On est quand même un pays de vélo, on a quand même encore les plus belles courses qui existent au monde, et puis d'un seul coup, plus rien. C'est la vie, c'est comme ça. On n'a pas le super champion qui a des aptitudes physiques hors normes, comme certaines nations. C'est sûr et certain, quand on regarde, il faudrait que tous les autres tombent (pour qu'un Français gagne le Tour)."
Q: Le Tour 1985 est entré dans la légende par sa dramaturgie: votre fracture du nez dans une chute lors de la 14e étape et votre coéquipier Greg LeMond qu'il a fallu presque freiner les jours suivants pour qu'il ne vous attaque pas...
R: "Non, non, non, on ne l'a pas freiné, contrairement à ce qui a été dit. Il y a eu trois, quatre jours qui ont été difficiles du fait de la chute, mais autrement non... Jusqu'au moment de la chute, je n'ai vraiment pas eu le moindre souci. Et dans le dernier col (lors de la 18e des 22 étapes), je me suis dit +Maintenant, j'ai gagné+".
Q: Si le classement général est hors de portée des Français, qu'attendez-vous d'eux sur le Tour ?
R: "Il ne faut pas hésiter à y aller, quitte à prendre des claques. Si on fait le Tour, qu'on finit 15e et que personne ne vous a vu... Il vaut mieux gagner une étape et finir 70e. Au moins, on sait qu'il a été présent. (Le septuple vainqueur du maillot à pois, Richard) Virenque quand il courait, il perdait 25 ou 30 minutes dès les premières étapes. Après, il était tranquille (pour attaquer) en montagne parce qu'il n'inquiétait personne. Et il en a gagné des étapes (sept) ! On ne s'inspire pas assez de ça. Et puis, pour être Français, il faut gagner le 14 juillet, c'est tout. Celui qui gagne le 14 juillet, c'est à vie."
Q: Après 2020, 2021 et 2024, Tadej Pogacar va-t-il s'imposer une quatrième fois cette année ?
R: "Pour moi, oui. À part s'il a une grosse défaillance, mais je n'y crois pas du tout. Quand on voit ce qu'il a pu faire au Dauphiné, il a maîtrisé, il a fait ce qu'il voulait quand il voulait."
Q: C'est le coureur dans lequel vous vous reconnaissez le plus ?
R: "Pogacar, quand il voit qu'il a la capacité pour mettre un +coup de fusil+, il met un +coup de fusil+. Un peu comme Eddy (Merckx). Quand il attaque, comme aux championnats du monde, à 100 kilomètres de l'arrivée, tout le monde dit +Mais quelle connerie il fait +. À la sortie, c'est lui qui a gagné. Et ça, c'est fabuleux à voir. Je pense que Pogacar va vraiment marquer le cyclisme pour quelques années encore. C'est peut-être le seul qui pourra battre le record (de cinq victoires dans le Tour co-détenu par Bernard Hinault, Jacques Anquetil, Eddy Merckx et Miguel Indurain). Il n'a que 26 ans. Quand on voit le palmarès qu'il a déjà, il est bien dans les temps. Il a déjà trois Tour de France, le Tour d'Italie, le titre de champion du monde, il a des classiques... C'est un coureur complet."
Q: A 70 ans, vous continuez à donner beaucoup de votre personne lors du Tour et en dehors, vous ne vous lassez jamais ?
R: "Il ne faut surtout pas penser qu'on a un certain âge. Il faut penser qu'on a 50 ou 30 ans, et ça marche. Il faut savoir redonner ce qu'on nous a donné il y a 40 ou 50 ans. Si on peut contribuer à faire quelque chose de bien, c'est génial. Ça veut dire qu'on n'a pas été trop mauvais, quoi."
Propos recueillis par Frédéric HAPPE
H.Santana--HdM