
Mexique: une tortilla expérimentale, longue conservation sans réfrigérateur

Penchée sur un microscope, la chercheuse Raquel Gomez scrute des micro-organismes qui permettent de conserver des tortillas pendant plusieurs semaines, sans réfrigérateur, un projet visant à lutter contre la malnutrition dans les zones pauvres du Mexique.
L'enjeu est de taille. La tortilla, cette petite crêpe de maïs ou de blé dans le nord du pays, est l'aliment de base de la cuisine locale. Remplie de viande de boeuf ou de poulet, de poisson ou de langoustines, de sauce, d'avocats, d'oignon, de coriandre, d'ananas..., elle se décline sous toutes formes de tacos possibles.
La tortilla est consommée par 98% des 129 millions de Mexicains, qui l'achètent au poids dans de petites fabriques artisanales de quartier d'où elle sort molle et chaude, prête à l'emploi.
A la traditionnelle farine de blé, Mme Gomez et son équipe ont mélangé des probiotiques, micro-organismes présents dans des aliments comme le yaourt. Objectif: une tortilla qui puisse se conserver jusqu'à un mois sans frigo, bien plus longtemps que pour la version artisanale ou même celle en vente dans les supermarchés.
L'alternative sans réfrigérateur "a été conçue en pensant aux personnes les plus vulnérables", explique à l'AFP la docteure en recherche médicale dans la banlieue de Mexico.
Au Mexique, 13,9% des enfants de moins de cinq ans souffrent de malnutrition chronique. Le chiffre grimpe à 27,4% dans les communautés indigènes, selon les données officielles.
- "Pas d'argent" -
La tortilla développée par Raquel Gomez et son équipe n'est pas encore commercialisée, mais elle pourrait un jour profiter à des personnes comme Teresa Sanchez, une femme membre de la communauté indigène maya tseltal de 46 ans qui n'a pas de réfrigérateur.
Dans sa maison aux murs de bois et au toit de zinc, située à Oxchuc dans le Chiapas (sud), la quadragénaire allume un feu de bois et suspend des morceaux de viande de bœuf pour les conserver grâce à la fumée. Une technique ancestrale encore courante dans cette ville, où plus de 90% des 55.000 habitants n'ont pas de réfrigérateur.
"Ma mère me l'a enseignée et les grands-parents le font toujours ainsi parce que, où trouver un réfrigérateur s'il n'y a pas d'argent?", explique à l'AFP cette femme au foyer.
Le Chiapas, avec une importante population indigène, est l'État qui enregistre le plus faible pourcentage de logements avec réfrigérateur au Mexique (64,6%).
La température moyenne maximale y est passée de 30,1 à 32°C entre 2014 et 2024 et la moitié de son territoire est vulnérable au changement climatique, selon des estimations officielles.
"Nous calculons ce que nous allons manger et combien nous sommes. Nous le mettons à bouillir et, s'il en reste un peu, nous le faisons (re)bouillir dans l'après-midi", pour que la nourriture ne se décompose pas le lendemain, raconte Mme Sanchez.
Ses tortillas sont stockées dans des récipients fabriqués avec l'écorce d'un arbre local, le morro. Parfois, la viande est également salée et "séchée au soleil".
Pour cette raison, Mme Sanchez n'achète que le strict nécessaire. Sans compter qu'elle n'a "pas assez d'argent pour acheter beaucoup".
- Sans conservateurs -
Raquel Gomez étudie les bienfaits des micro-organismes et utilise des prébiotiques (des fibres) pour nourrir des cultures de probiotiques.
Ce mélange est bon pour la santé, explique cette spécialiste des maladies métaboliques et professeure à l'Université nationale autonome du Mexique (UNAM).
Grâce aux "produits formés pendant la fermentation, il n'est pas nécessaire d'utiliser des conservateurs", souligne également Mme Gomez. Ces additifs sont fréquents dans les tortillas de blé industrielles.
Bien que la tortilla développée à l'UNAM soit à base de farine de blé, principalement consommée dans le nord du Mexique, Mme Gomez n'exclut pas d'appliquer sa méthode aux tortillas de maïs, préférées par la population mais qui ne résistent que quelques heures à des températures élevées.
Les chercheurs ont breveté leur tortilla en 2023. L'UNAM a signé un contrat avec une entreprise pour commercialiser l'aliment, mais l'accord s'est rompu après le décès des principaux actionnaires, raconte la professeure.
Lauréate d'un prix décerné en décembre dernier par l'Institut mexicain de la propriété industrielle, elle continue à chercher des partenaires pour distribuer son invention, persuadée de convaincre les consommateurs.
G.Aguilar--HdM